Du bon usage des étoiles – Dominique Fortier

Cette lecture est une suggestion de Madame Lit, dans le cadre de l’opération Le 12 août, j’achète un livre québécois.

En 1845, deux navires d’exploration britanniques, l’Erebus et le Terror, partent, sous le commandement de sir John Franklin, à la recherche du passage du Nord-Ouest, qui permettrait de passer de l’Atlantique au Pacifique en contournant le continent nord-américain par le nord. L’auteure nous entraîne, par son récit, dans cette expédition calamiteuse, en alternant, d’un court chapitre à l’autre, les points de vue et les personnages.

Francis Crozier (source : Wikimedia Commons)

D’un côté, on suit par intervalles discontinus la progression de l’expédition, notamment à travers le regard de Francis Crozier, le capitaine du Terror, sans doute le membre le plus lucide et le plus compétent de cette aventure catastrophique. On partage ses états d’âme, sa singularité. Il ne partage pas la vision des choses stéréotypée des autres officiers. Il est parti dans cette expédition en partie par dépit amoureux : éconduit par Sophia Cracroft, la nièce de John Franklin, il fuit la source de son tourment pour retourner dans une solitude polaire au milieu de ses hommes.

Lady Jane Franklin (1816), lithographie de Joseph Mathias Negelen, d’après un dessin d’Amelie Romilly

De l’autre, on suit la vie sociale et les pérégrinations de Lady Jane, l’épouse de l’illustre John Franklin, toujours accompagnée de sa nièce, la fameuse Sophia. A travers ce récit parallèle, on a un aperçu de la vie au sein des classes aisées de l’époque victorienne, de ces mondanités que l’on retrouve en miroir au sein même de l’expédition, entre officiers. Lady Jane est un personnage étonnant, une femme passionnée par les grands explorateurs. Elle a épousé Franklin avant tout pour son statut d’explorateur, plus que pour l’homme, par ailleurs peu flamboyant. Elle voyage beaucoup, prend des notes sur tout ce qu’elle voit, est curieuse de tout. Une femme qui, en un autre temps, aurait fait sans doute une grande exploratrice, tant elle semble plus énergique passionnée et déterminée que son mari, dont le prestige semble outrepasser ses compétences réelles. Cette soif de découvertes, cette fascination pour les grands explorateurs m’ont renvoyé à une lecture récente « Zoonomia », dans laquelle la soif de découvertes s’exerce sur l’Afrique, à la même époque que l’expédition Franklin.

Un récit fluide, centré à la fois sur les personnages et sur le contexte social de l’époque, d’une expédition célèbre (bien que méconnue en France). Ayant fait connaissance de l’expédition Franklin à travers le « Terreur » de Dan Simmons (qui ajoute une dose de surnaturel à une aventure qui en soit est déjà terrifiante, et dans lequel Crozier est également un personnage de premier plan), j’ai lu avec intérêt cet autre regard porté, un roman (car cela reste malgré tout une œuvre de fiction) qui entre dans l’intimité de ses protagonistes et décortique sans parti pris les failles de la société dans laquelle, j’en ai le sentiment, une telle tragédie avait quelque chose d’inévitable.

Du blanc, à perte de vue. Le blanc du ciel qui se fond dans le blanc de la terre enfouie sous la neige, qui se fond dans le blanc de l’eau couverte de glace, qui se fond dans le blanc qu’on finit par avoir sous les paupières quand on ferme les yeux.

Un blanc gris sous les nuages lourds de neige, un blanc d’ombre qui avale les distances et trompe la prunelle. Un voile blanc qui recouvre tout.

Un blanc noir les jours d’hiver sans soleil.

Translucide et voilé, impénétrable, aqueux et solide, immaculé, envers de toutes les souillures. Un blanc comme un œil, qui tout à la fois masque et laisse transparaître ce qui se trouve derrière, dedans, deçà, delà.

Un blanc bleuté qui scintille doucement sous la lueur de la lune énorme, boursouflée, et sous la lumière des millions d’étoiles étincelant sur la neige où elles semblent reflétées ou bien tombées par terre.

Le blanc jaune des banquises où rampent les phoques et des champs de neige où l’on sort se soulager et vider les pots de chambre.

Le blanc cendré des nuits sans lune qui durent parfois des semaines.

Partout le blanc. Avec, de loin en loin, le crachat d’un marin, comme une étoile rouge dans la neige.

Perlerorneq. C’est le mot par lequel les Esquimaux nomment ce sentiment rongeant le cœur des hommes pendant l’hiver qui s’étire sans fin et où le soleil n’apparaît plus que de loin en loin. Perlerorneq. Rauque comme la plainte d’un animal qui sent la mort approcher.

Auteur : Dominique Fortier

Titre : Du bon usage des étoiles, 2008

Editions de La Table Ronde

ISBN : 9782710368359

La dynastie des Boiteux, T1 Zoonomia – Bessora

La Dynastie des Boiteux – Zoonomia – Bessora

En 1846, un jeune homme prénommé Johann quitte son île de la Réunion natale pour arriver à Paris. Il veut rencontrer son père, Jean-Marie Duchelieu. Entre sa mère, mulâtresse travailleuse agricole, et son père, explorateur et aventurier breton, son choix est fait : il ne veut pas être classé parmi les « indigènes », ceux que l’on observe, qu’on étudie, et, finalement, qu’on exploite. Il préfère faire partie de la caste des découvreurs, des aventuriers, de ceux qui parcourent le monde à la recherche de faune et de peuplades exotiques.

Explorateur : voilà ce qu’il veut être. Obtenir la reconnaissance, la gloire, en se lançant au plus profond de l’Afrique, être le premier occidental à tuer un gorille, devenir l’égal de ses héros : Richard Francis Burton, David Livingstone, John Hanning Speke, parmi lesquels il classe son propre père.

Zoonomia, premier volet d’une ambitieuse tétralogie, nous conte donc les pérégrinations de Johann, en France, au Gabon, aux Etats-Unis. Johann est métis en une époque où l’idée d’égalité entre les races est un concept novateur, voire subversif, encore fort peu répandu. Dans ce contexte, le jeune homme n’aura de cesse d’occulter, de nier tout ce qui peut le rattacher à son héritage non occidental. Mais sa quête sera semée d’embuches : on ne se débarrasse pas si facilement de ses racines, de ses ancêtres, surtout lorsqu’on est issu d’une étrange lignée de boiteux, dont les origines remontent à l’Ancien Testament, traversant les époques et les lieux, faisant fi des préjugés raciaux du XIXème siècle. C’est un héros que j’ai parfois détesté : rebelle, car voulant s’élever au-dessus de sa condition de bâtard voué aux travaux agricoles sur une île aux confins de l’empire colonial français, mais terriblement conformiste dans la manière de réaliser ces ambitions, en accord avec les préjugés de son temps. Autant dire que certaines déconvenues rencontrées sont plutôt rassurantes pour le lecteur.

Une œuvre que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, roman initiatique teinté de fantastique et d’un humour féroce, plongée dans une époque, et récit – c’est très rare – effectué en désignant le héros à la deuxième personne. Le/la narrateur/trice semble s’adresser à Johann, à un Johann à qui il/elle montre son chemin de vie d’un point de vue extérieur, comme on regarde un film : vois ce que tu fis… Cette narration est étonnante, mais le verbe est musical, fluide, un vrai plaisir à lire.

« L’Afrique, avais-tu pensé, ces naturels qu’on éduque et qu’on étudie. Le tout, c’était de ne pas en être, de n’être pas de ceux qu’on catalogue et qu’on décortique, comme Juliette te scrutait en ce moment. Dans les zoos humains, tu te voulais du bon côté de la cage.

Or ton père, rêvais-tu, était de ces nomades, nobles Aryens venus d’Inde jusqu’en Germanie.

Jamais tu ne serais aryen, car il y avait ta mère, mais tu pouvais encore devenir explorateur. C’était sûrement écrit quelque part, dans le ciel ou dans les étoiles, dans une encre sacrée. Pour cela, il suffisait de prendre sa place parmi ceux qui écrivaient l’histoire, la naturelle et la sociale. Jean-Marie te donnerait cette place. Plus personne ne te regarderait comme une créature de zoo. »

Bessora poursuivra son œuvre en changeant d’époques et de lieux dans les volets suivants (qui semblent déjà écrits) de sa « Dynastie des Boiteux ». Ses personnages principaux, celui de ce premier volet, mais aussi ceux des trois à venir, sont inspirés de personnages réels que l’auteur, en les modifiant pour servir son propos, a réunis au sein d’une lignée haute en couleurs, que j’aurai plaisir à retrouver.

Auteur : Bessora

Titre : La dynastie des Boiteux – Zoonomia, 2018

Editions du Serpent à Plumes

ISBN : 9791097390969

Le monstre – Enki Bilal

Le Monstre - Enki BilalNike est né en 1993 dans un hôpital bombardé de Sarajevo. Il a maintenant 33 ans, mais, doté d’une mémoire exceptionnelle, il se souvient des premiers jours de son existence dans l’enfer de la guerre de Bosnie :

« I remember… J’ai dix-huit jours, et I remember les grosses mouches noires et l’air tiède de l’été qui s’engouffre par les trous béants de l’hôpital. A dix-huit jours, je peux reconnaître le souffle de l’air du souffle des bombes, et un tir de mortier d’un tir de T.34. A dix-huit jours, je sais que je suis orphelin et qu’on m’appelle Nike (prononcer Naïk). A ma gauche, dans le même lit, Amir, un jour de moins, dort, et à ma droite, Leyla, la cadette, dix jours à peine, braille. Eux aussi sont orphelins, mais ils ne le savent pas. Je suis l’aîné, et je jure sur les étoiles qui brillent au-dessus du plafond envolé de les protéger toujours. Je le jure. »

Son hypermnésie lui a permis de faire fortune en participant à de grands projets de banques de données mondiales, mais, se souvenant désormais de sa promesse, il décide de partir à la recherche de Leyla et d’Amir, dans un monde futuriste sombre et dangereux.

Enki Bilal Le Monstre
Quand Nike retrouve sa ville natale…

En effet, un groupe fondamentaliste religieux, l’Obscurantis Order, sème la terreur et commet des attentats de plus en plus spectaculaires, luttant contre tout ce qui touche à la science, la pensée, la culture et la mémoire. Autant dire que les dons de Nike les intéressent beaucoup. Nike va deveir un enjeu important dans une guerre mondiale contre l’obscurantisme.

Leyla et Amir sont tout autant en danger : la première est scientifique, et a participé à une découverte très importante, sur un site dont l’emplacement est un des secrets les mieux gardés, secret que cherche à percer l’organisation terroriste. Amir et sa compagne Sacha, à Moscou, acceptent la proposition d’un mystérieux et très inquiétant employeur…

Ce souverain pontife a quelque chose de Baconien

La réussite d’une bande dessinée tient à la fois dans son scénario, dans son intrigue, que dans l’univers graphique qu’elle propose, dans l’immersion visuelle qu’elle propose et qui sert l’histoire. Ici tout est réuni. Le dessin est dynamique, très « crayonné », donnant une vie saisissante aux scènes parfois surréalistes, avec un usage intéressant des couleurs, des touches de couleurs vives venant trancher dans le décor plus terne. Il y a du Bacon dans certaines planches. Cet univers essentiellement urbain, un peu usé et décrépi, sert d’écrin à une intrigue pleines de machinations et de secrets, de faux semblants, où l’on devine en arrière-plan une menace qui, au fur et à mesure de l’intrigue, prend corps de manière de plus en plus concrète, mais reste insaisissable au gré des rebondissements. Il y est question de mémoire, du Mal, d’expression artistique poussé dans ses retranchements les plus extrêmes, avec une touche lovecraftienne de bon aloi.

Le Monstre - Enki Bilal

« Le Monstre » devait être à l’origine une trilogie, composée de « Le sommeil du monstre » (1998), « Trente-deux décembre » (2002) et « Rendez-vous à Paris » (2006), est finalement devenu une tétralogie avec la sortie de « Quatre ? » (2007), finalement, à travers ce regroupement en un seul tome, les épisodes trois et quatre ont été fondus en un, l’ensemble redevenant une trilogie. L’ensemble réuni en un seul volume constitue un roman graphique fascinant, tant sur le fond que sur la forme.

Le Montre - Enki Bilal

 

Cette chronique pourrait s’inscrire dans cadre du mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran, dans la mesure où l’auteur, certes français, est né à Belgrade d’un père Bosniaque et d’une mère Slovaque, et que l’histoire est en lien avec la guerre de Bosnie.

 

Auteur : Enki Bilal

Titre : Le monstre (Le sommeil du monstre, 1998, Trente-deux décembre, 2002, Rendez-vous à Paris (2006), Quatre ? (2007))

Editions Casterman

ISBN : 9782203010475

La porte – Magda Szabó

« La Porte » est un récit à la première personne, la confession d’une écrivaine hongroise qui, s’installant dans une nouvelle maison, a besoin d’une bonne à tout faire. On lui recommande d’employer Emerence, une vieille femme sèche, à l’allure peu communicative, mais incontournable dans le quartier. Dès la rencontre, la narratrice prend conscience qu’elle a affaire à un personnage peu ordinaire :

« Je ne savais pas dans quelle mesure ma proposition l’intéressait, elle n’avait pas besoin de ce travail, ni d’argent, cela se voyait sur toute sa personne, il était terriblement important pour moi qu’elle accepte, mais voilà, ce visage lisse comme un étang dans l’ombre du foulard évoquant un accessoire rituel resta longtemps sans rien trahir. Emerence ne releva pas la tête, même lorsqu’elle donna enfin sa réponse : nous pourrions éventuellement en reparler, parce qu’une des maisons où elle travaillait devenait impossible, le mari et la femme buvaient, le fils aîné était un débauché, elle ne voulait plus les garder. Si quelqu’un se portait garant de nous et lui assurait que chez nous, il n’y avait ni buveur, ni tête brûlée, c’était envisageable. Je l’écoutais, ahurie, c’était la première fois qu’on exigeait nos références.

– Je ne lave pas le linge sale de n’importe qui, dit Emerence. »

Ainsi commence une relation de vingt ans entre les deux femmes, entre l’écrivaine, l’intellectuelle à la renommée croissante, et la bonne, aux origines paysannes, dure à la tâche, et qui se moque des intellectuels, des éducateurs et du clergé.

Le personnage d’Emerence est fascinant, un être dur en apparence, plein de secrets, peut-être d’une grande pudeur, mais en même temps sans détour, sincère, voire hypersensible. Personne ne peut franchir le seuil de sa porte. On devine, sous l’abord peu amène du personnage, une certaine fragilité et une grande intelligence.

Entre elle et la narratrice, un lien d’amitié va se nouer petit à petit, et de cette proximité affective vient le danger de blesser, de heurter un vis-à-vis que l’on ne parvient pas à comprendre.

Car l’écrivaine, certes cultivée et sensible, a des difficultés à comprendre la vieille femme, déroutante pour quiconque a l’habitude des conventions sociales conférées par l’éducation dans un milieu intellectuel, bourgeois.

Par bribes, on découvre des éléments du passé d’Emerence, au gré des crises que traverse cette relation entre les deux héroïnes, moments où la carapace se fendille pour montrer de vieilles blessures : la construction de ce personnage est d’une très grande finesse.

Un roman sur l’altérité, sur l’ambition, les erreurs que nous commettons tous, les blessures que nous pouvons infliger par maladresse – ou par faiblesse – à nos proches.

L’auteure y délivre une auto critique d’un grand courage, endossant les torts (alors que j’ai le sentiment que, parfois, Emerence a sa part de responsabilité, avec son aplomb et la rigidité de ses certitudes) dans cette amitié heurtée par un véritable choc culturel et social.

On notera l’existence d’une adaptation cinématographique, avec Helen Mirren dans le rôle d’Emerence :

Cette chronique doit son existence à Madame Lit et son défi littéraire qui passe par la Hongrie en ce mois de mars, qui est aussi le mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.

Auteur : Magda Szabó

Titre : La porte (Az Ajtó), 1987

Traduit du hongrois par Chantal Philippe, 2003

Editions Viviane Hamy, collection Domaine Etranger

ISBN : 97828718586909

 

Polococktail Party – Dorota Masłowska

Polococktail PartyOn le surnomme « Le Fort », c’est un jeune homme vivant dans une ville côtière de la Pologne en ce début du XXIème siècle. Il est accro à diverses substances psychotropes et a des problèmes avec sa petite amie, Madga. Celle-ci, également défoncée aux amphets, manipulatrice et instable, lui fait croire qu’elle est enceinte, affabule, joue avec ses sentiments (ce qui peut être dangereux, vu le caractère parfois explosif de notre héros).

« Parle pas comme ça, Magda, de toute façon je t’écoute pas. Je ne veux plus de toi. Ni de tes paroles. C’est des mensonges, du venin. Je les supporte plus. Tu m’as rejeté aujourd’hui, même si, d’après la montre, ça s’est passé hier. Mais peu importe l’heure, tu m’as rejeté quand même, t’as repoussé mes sentiments. Après tu racontes que c’est pas ça, que c’était une crampe au mollet et que t’as un enfant. Tu prétends qu’il te tue, et qu’il est de moi. Sur quoi tu me laisses agonisant sur la plage et tu t’en vas avec deux tocards inconnus. Ta crampe au mollet disparaît, et l’enfant avec. Full mobilisation. On dirait un gros poisson qui a senti l’odeur du sang. Et comme un Judas tu soutiens à haute voix que je suis un débile mental. Oui, ne le nie pas, c’est bien les actes que tu as commis. Même si tu m’assures de nouveau de ton amour pour moi, je peux te dire, moi, que tout est fini entre nous. »

« Polococktail Party » (drôle de titre, sachant que le titre original se traduit par « La guerre polono-russe sous le drapeau blanc et rouge ») est un long monologue, celui du Fort, décrivant en temps réel sa trajectoire chaotique, avec en toile de fond une improbable fête patriotique la « Journée sans Ruskoff », où tout est aux couleurs blanc et rouge du drapeau polonais, où règne une paranoïa antirusse.

La route plus ou moins aléatoire de notre héros croise d’autres jeunes femmes :  Angela, une gothique végétarienne, dépressive et volubile, qui se rêve en artiste maudite, et que le Fort initie aux amphétamines ; Natasha, agressive, colérique, prête à tout pour de la drogue ou de l’argent ; Arleta, une copine de Magda qui monnaye des ragots contre de la nourriture ; Ala, jeune fille de bonne famille catholique et conservatrice et, enfin Dorota Masłowska, qui se met elle-même en scène, face à son personnage, lequel est stupéfait de constater qu’elle semble tout savoir de lui, et qu’elle semble considérer tout ce décor comme totalement factice.

Voici un roman singulier : écrit d’une traite par une lycéenne polonaise en 2002, il devint un best-seller immédiat en Pologne, un véritable phénomène éditorial. Roman singulier dans son style également. Le récit prend la forme d’un monologue, les dialogues se mêlant au récit dans une tchatche intarissable. Acid trip lardé de scènes surréalistes induite par la consommation de diverses substances, ce récit met en scène une jeunesse perdue, dans une Pologne qui se cherche une identité, au sortir du joug communiste et à la veille de son entrée dans l’Union Européenne.

On peut avoir du mal à adhérer à ce style, ce procédé narratif et/ou à la thématique du roman, mais il a fini par me laisser une forte impression, comme objet littéraire spontané, sans filtre, qui fait un portrait excessif, au vitriol, d’un pays qui se cherche, d’une jeunesse en quête d’avenir.

A noter que ce roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 2009, réalisé par Xawery Żuławski (le fils d’Andrzej), une sorte de « Trainspotting » à la polonaise :

Cette chronique s’inscrit dans le mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.

Auteur : Dorota Masłowska

Titre : Polococktail party (Wojna polsko-ruska pod flagą biało-czerwoną), 2002

Traduit du polonais par Zofia Bobowicz, 2004

Editions Noir sur Blanc

ISBN : 9782882502698

La servante écarlate – Margaret Atwood

La Servante EcarlateDésormais elle s’appelle Defred. Du moins c’est le nom qu’on lui a donné et auquel elle est tenue de répondre. Mais, autrefois, elle portait un autre nom, celui que lui a donné ses parents. Elle garde enfoui au fond d’elle-même le souvenir de ce patronyme, de ce prénom qu’elle ne doit plus utiliser. En ce temps révolu, les Etats-Unis dans lesquels elle vivait étaient encore démocratiques, elle avait un compagnon, Luke, une petite fille, un métier. Une vie ordinaire de femme, libre.

Mais tout a changé : désormais la République de Gilead, une théocratie chrétienne brutale et pesante, dirige le pays, et Defred a tout perdu. Dans cette société rigidifiée à l’extrême, elle est devenue une Servante, une femme au service d’un Commandant [un notable du régime] et de son épouse La fonction principale d’une Servante est de tomber enceinte. C’est sa seule utilité sociale : sa fertilité est un enjeu important dans ce proche avenir où il est devenu très difficile de tomber enceinte et de mener sa grossesse à terme.

Le roman nous dépeint l’arrivée de Defred et sa vie dans la maison du Commandant. Jour après jour, elle doit subir les contraintes de son rôle de femelle reproductrice, et de l’hostilité de la maîtresse de maison. Dans une société sous surveillance permanente, le moindre signe de rébellion, parfois un simple regard, peut avoir des conséquences terribles : tortures, exécution. Pour tenir le coup, elle se replonge dans ses souvenirs, bouée de sauvetage, pour se souvenir de l’existence d’un monde de liberté. Mais ces souvenirs constituent aussi mais aussi une torture mentale, car ils renvoient cruellement à la situation présence, prisonnière d’un régime impitoyable. C’est l’aspect poignant du personnage de Defred : contrairement aux héros de la plupart des dystopies, elle n’est pas née dans cette société cruelle. Elle a vécu son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’adulte dans notre société occidentale et démocratique. Elle peut donc mesurer pleinement tout ce qu’elle a perdu. Et nous avec elle.

Mais j’ai tort, personne ne meurt d’être privé de rapports sexuels. C’est du manque d’amour que nous mourons. Il n’y a personne ici que je puisse aimer, tous ceux que je pouvais aimer sont morts ou ailleurs. Qui sait où ils sont et comment ils s’appellent maintenant. Ils pourraient aussi bien n’être nulle part, comme c’est mon cas pour eux. Moi aussi je suis une personne disparue.

Dans une postface de l’auteur, on prend conscience de l’immense popularité outre-atlantique de ce roman et ce depuis sa parution dans les années 80, et ne doit son actuelle engouement en France qu’à sa récente adaptation en série TV. On comprend aussi que la dictature théocratique et patriarcale décrite dans le livre ne doit rien au hasard de l’inspiration de l’auteur, mais repose sur une extrapolation politique :

Les nations ne construisent jamais des formes de gouvernement radicales sur des fondations qui n’existent pas déjà. C’est ainsi que la Chine a remplacé une bureaucratie étatique par une bureaucratie étatique similaire, mais sous un nom différent, que l’URSS a remplacé la redoutable police secrète impériale par une police secrète encore plus redoutée, et ainsi de suite. La fondation profonde des États-Unis – c’est ainsi que j’ai raisonné – n’est pas l’ensemble de structures de l’âge des Lumières du XVIIIe siècle, relativement récentes, avec leurs discours sur l’égalité et la séparation de l’Église et de l’État, mais la brutale théocratie de la Nouvelle-Angleterre puritaine du XVIIe siècle, avec ses préjugés contre les femmes, et à qui une période de chaos social suffirait pour se réaffirmer.

Cette manière d’extrapoler renforce la crédibilité glaçante de ce livre. La démocratie ne doit jamais être considérée comme un acquis définitif, quel que soit le pays où l’on vit.

Auteur : Margareth Atwood

Titre : La servante écarlate (The Handmaid’s Tale), 1985

Traduit de l’anglais (Canada) par Sylviane Rué, 1987

Editions Robert Laffont, collection Pavillons Poche

ISBN : 978221139264

La serpe – Philippe Jaenada

Jaenada - La SerpeLe matin du 25 octobre 1941, dans le château d’Escoire, au Périgord, on découvre trois cadavres, tous massacrés à coups de serpe. Les victimes sont Georges Girard, haut fonctionnaire au gouvernement de Vichy, sa sœur Amélie, tous deux propriétaires du château, et Louise Soudeix, la bonne.

Le seul occupant du château toujours vivant ce matin-là est Henri, le fils de George, un jeune homme dépensier, au caractère impétueux, parfois colérique. Très vite, les soupçons se portent sur lui. Il est inculpé pour assassinat. Le procès, cependant, débouchera sur un acquittement, à cause d’une enquête bâclée. Le mystère reste entier, même si nombreux sont ceux qui pensent qu’Henri était effectivement l’auteur des faits.

Philippe Jaenada à travers ce roman, « La Serpe », déterre ce vieux fait divers et entreprend de reprendre toute l’enquête à zéro, pour tenter d’y apporter un éclairage nouveau et, qui sait, apporter une hypothèse étayée quant à l’identité du coupable au mobile de ce sanglant triple meurtre.

Ce qualificatif de « roman », cependant, est-il adapté pour qualifier cet objet littéraire ? On pourrait parler peut-être de « roman hybride », voire de « docufiction littéraire » (je suppose que, de toutes manières, le roman hybride étant une forme particulière de roman, ce dernier se justifiera en première approximation, et ne pêchera, au pire, que par imprécision), car l’on n’est pas dans une œuvre « inspirée de faits réels », mais plutôt dans un travail d’investigation approfondie. On est frappé, dans cet ouvrage, par plusieurs choses :

D’abord, pour le lecteur qui n’avait jusqu’alors jamais eu affaire avec la plume de Jaenada (ce qui est mon cas), on est tout de suite frappé par le style : la page (qu’elle soit affichée sur l’écran d’une liseuse ou sur le papier imprimé) est noircie par de longues phrases volubiles, phrases elles-mêmes émaillées, entrecoupées de digressions, d’apartés (prenant la forme de passages entre parenthèses), ces digressions pouvant elles-mêmes être interrompues par des apartés, (occasionnant un deuxième niveau de parenthèses (réveillant en moi de vieux souvenirs scolaires d’équations mathématiques à résoudre)). Le tout, formant des paragraphes pouvant remplir plusieurs pages, pourrait sembler indigeste, décourageant pour le lecteur de s’attaquer à cette montagne de mots qui remplit plus de 500 pages. Mais l’écriture est fluide, accessible, et le lecteur peut progresser sans efforts dans le texte. Les digressions permettent souvent de se changer les idées, permettant de petites pauses dans ce qui constitue par ailleurs un récit et des investigations très détaillés. Ces digressions sont d’ailleurs parfois étonnantes, l’auteur faisant parfois des rapprochements avec un de ses précédents romans, ou jaugeant la probabilité qu’il aurait de décrocher un prix littéraire avec ce roman.

Ensuite la narration. L’auteur ne nous plonge pas directement dans la scène de crime, mais prend son temps pour nous y mener, tant géographiquement qu’historiquement, à travers une double narration.

Le premier fil narratif, c’est l’auteur lui-même qui se met en scène – avec beaucoup d’autodérision –  dans l’enquête qui aboutira sur le livre que je tiens entre mes mains. L’écrivain parisien laisse derrière lui femme et enfant, et franchit le périphérique à bord d’une voiture de location, afin de mener ses investigations sur les lieux des faits, près de Périgueux.

« Je sors de la Meriva, Mike Hammer ratatiné. Je traverse la nationale déserte d’un air dégagé, comme si j’avais fait ça toute ma vie, puis je pousse la porte du bistrot, le Relais 21, je ne me sens nulle part mieux que dans un bistrot. Par chance, il n’y a personne. (Je n’avais pas envie de commencer mon enquête en avançant d’emblée sous le feu de dix ou quinze yeux périgourdins et rouges (non, pas quinze) braqués sur moi.) L’endroit ressemble à tous les petits bars-tabac de village, avec sept bouteilles de sirops Gilbert, du whisky Clan Campbell, des photos d’équipes de foot ou de rugby, trois fanions bleu et blanc, un vert et jaune, deux coupes de pétanque, une de ping-pong. Une photo dédicacée de Jean Lefebvre ou de Jean-Pierre Rives. Le patron est seul, assis derrière la caisse, il est plutôt jeune, paraît sympathique. J’achète deux paquets de Camel, un briquet Bic à 2 euros plutôt qu’un sans marque à 1,50, pour montrer que je ne suis pas un va-nu-pieds, et je commande un demi au comptoir, Meteor ou Jupiler, je ne sais plus. »

En alternance avec ce voyage, l’auteur nous relate l’histoire de la famille Girard, au centre du drame, en remontant deux ou trois générations avant les faits. Puis, tout en évitant soigneusement le crime sordide de 1941, relate la vie tumultueuse d’Henri Girard, jusqu’à sa mort en 1987.

Plan de l'aile droite du rez-de-chaussée
Plan des lieux du crime : jouons au Cluedo…

Et puis les deux récits convergent vers l’affaire : géographiquement, l’auteur est arrivé sur les lieux, prend progressivement ses marques. Historiquement, le récit familial achevé à la fin des années 1980, on rembobine pour se concentrer sur le crime d’Escoire et sur le procès qui s’ensuivit.

Enfin, vient la contre-enquête, minutieuse, fouillée, avec notre écrivain-enquêteur qui fouille les archives à Périgueux, décortique les minutes du procès, arpente les abords du château. Toujours avec ce style inimitable et ce ton teinté d’humour, le travail de déconstruction et de reconstruction est remarquable, précis, mais – miraculeusement – jamais ennuyeux. On découvre au passage avec consternation les multiples dysfonctionnements de l’enquête et de la procédure judiciaire – en espérant que, de nos jours, les choses se déroulent de manière moins navrante. L’auteur nous propose une relecture convaincante, car étayée, de l’affaire.

Atypique sur la forme et très fouillé et solide sur le fond, j’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture, malgré le peu d’intérêt que j’ai ordinairement pour les faits divers.

Auteur : Philippe Jaenada

Titre : La Serpe, 2017

Editions Julliard

ISBN : 9782260029557

Avishai Cohen, avec l’Orchestre National de Lille

Avishai Cohen, à Toronto en 2010
Avishai Cohen, à Toronto en 2010 (source : Wikimedia Commons)

Habitué de longue date des concerts de l’Orchestre National de Lille, j’apprécie particulièrement lorsque sont proposés de ces concerts atypiques, où des musiciens venant d’horizons divers sont invités à jouer avec l’orchestre, qui sort de sa zone de confort pour se confronter à d’autres cultures musicales. Ainsi, il y a deux ans, une étonnante rencontre avec Jeff Mills, pionnier de la techno venu de Detroit.

Le 4 novembre dernier, l’ONL s’est mis à la disposition d’Avishai Cohen. Ce dernier, originaire de la région de Jérusalem, est parti au début des années 90 à New-York où il a pu se perfectionner, en jouant dans la rue, dans les clubs de jazz, en étudiant à la New School, jusqu’à ce qu’il soit repéré notamment par Chick Corea qui l’engagea dans son groupe pendant quelques années. Il forma ensuite son propre trio, et développa son propre son, mélangeant diverses influences, des standards du jazz, de la musique latino, à ses racines juives séfarades et à la musique arabe.

Ce jour-là, dans le bel auditorium du Nouveau-Siècle, le trio d’Avishai Cohen (contrebasse, piano et percussions) s’est vu renforcé d’un quatrième instrument de luxe, un orchestre symphonique. L’orchestre n’est pas réduit à une simple toile de fond somptueuse sur laquelle les jazzmen interpréteraient leur répertoire habituel, mais vient y prendre pleinement sa place, tantôt jouant seul, dialoguant parfois avec le trio, se taisant également pour laisser s’exprimer les invités du jour.

Le concert enchaîne des pièces du répertoire de Cohen, montrant la diversité de l’œuvre du contrebassiste, en commençant par l’ouverture ‘noam’, véritable pièce de musique classique interprétée par le seul orchestre, poursuivant par un mélange de ballades et berceuses issues de la tradition juive séfarade, et chantées en ladino (un mélange de vieux castillan et d’hébreu), d’une voix douce, par Avishai Cohen, et de pièces plus « traditionnellement » ancrées dans le jazz, avec toujours avec un mélange d’influences, comme la musique latino.

Parmi les morceaux proposés ce soir-là, je retiendrai particulièrement la douceur de « Morenika », le feu d’ « Arab Medley » et ses rythmes incandescents venus du Liban (et qui a électrisé une salle plus habitué à la pompe du concert classique), et le sublime « Seven seas », qu’on retrouve dans la bande originale du dernier film du duo Toledano/Nakache, le Sens de la Fête.

Un mot également des deux compagnons de Cohen, Omri Mor au piano et Itamar Doari aux percussions, deux musiciens tout aussi impressionnants que leur chef de file. Les trois musiciens ont chacun eu des solos dans lesquels ils ont pu s’exprimer en liberté (c’est aussi cela, l’apport du jazz par rapport au classique, où l’improvisation n’a pas sa place). Le percussionniste a notamment eu un long et très impressionnant solo, déclenchant l’ovation du public. Un petit regret, je trouve qu’on aurait pu avoir plus de solos pour le pianiste, dont l’aisance et la fluidité sont fascinants.

Un beau concert, clôturé dans l’enthousiasme d’une standing ovation, ce qui n’est pas si fréquent dans l’auditorium lillois. Une belle rencontre musicale.

Quelques vidéos valant mieux qu’un long discours, voici un bon résumé du concert en trois minutes :

Et pour ceux qui en veulent plus, quelques morceaux entendus ce soir-là :

Ouverture ‘Noam’, Op. 1 :

Song for My Brother (sans orchestre classique) :

Kumi Venetse Hasadeh (sans orchestre classique) :

Arab Medley :

Morenika (sans orchestre classique) :

Alon Basela :

Nature Boy :

Sevens seas (sans orchestre classique) :

Mes vrais enfants, par Jo Walton

Walton-MesVraisEnfants

Patricia est une vieille dame. Au soir de sa vie, elle se débat avec ses souvenirs. Sa mémoire est de plus en plus défaillante, au point qu’elle ne pouvait plus rester chez elle. Dans son établissement médicalisé, elle consulte de temps en temps la feuille de soins accrochée au pied de son lit. Le personnel soignant y consigne, jour après jour, ses observations concernant son état de confusion mentale plus ou moins profond.

Elle oublie beaucoup de choses, mais sa confusion a une autre origine : ses souvenirs se contredisent parfois entre eux. C’est comme si elle avait vécu deux vies. Ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, marqués par la Seconde Guerre Mondiale, sont cohérents et sans alternative. Mais ensuite, c’est comme si sa vie, parvenue à un carrefour, avait emprunté les deux chemins possibles, et que, devenue âgée, Patricia pouvait se souvenir des deux lignes temporelles. Est-ce juste un effet du délire d’un cerveau atteint de dégénérescence ? Ou alors ces souvenirs sont-ils réellement en lien avec des événements qui ont eu lieu, dans deux réalités alternatives ? Patricia est perplexe face à ce phénomène :

Et s’il y avait deux mondes, à quoi était dû ce balancement entre les deux ? L’époque restait la même, contrairement à ce qui se passait dans Charlotte Sometimes. La date aussi, qu’elle en perde le fil ou pas. Seuls les faits changeaient, des faits qui auraient dû rester immuables. Elle avait quatre enfants, ou bien trois. Cette clinique était équipée d’un ascenseur, ou d’un simple monte-escalier. Elle se rappelait des événements qui ne pouvaient être vrais en même temps. Par exemple, l’assassinat de Kennedy d’un côté et, de l’autre, son refus de se représenter aux élections après l’attaque de Cuba. Ces événements n’avaient pas pu se produire tous les deux, et pourtant elle se souvenait en détail de l’un comme de l’autre. Était-ce le résultat d’une décision de sa part ? Une décision qui avait abouti à deux avenirs distincts ? À deux existences très différentes ? Des existences qui avaient toutes les deux commencé à Twickenham en 1926 et qui se terminaient toutes les deux ici, dans cette clinique, en 2014 ou 2015 ?

Jo Walton nous invite à parcourir les deux histoires de celle qui, selon les alternatives et les époques, se fait appeler Patsy, Pat, Tricia ou Trish. D’un chapitre à l’autre, alternant d’une ligne temporelle à l’autre, on y découvre une femme attachante : ce magnifique portrait, à travers ces deux alternatives, parle tout simplement de la vie, de ses joies, ses peines, ses espoirs et ses regrets. Patricia sera amenée parfois, dans sa quête du bonheur, à braver les conventions sociales. Pendant ces décennies, la société évolue, la grande histoire se déroule et imprime parfois durement son empreinte dans la vie des gens.

La science-fiction, dans ses nombreux jeux sur la réalité, revisite parfois l’Histoire en imaginant un point de divergence avec notre réalité, pour en explorer ensuite les conséquences, généralement la construction d’un monde très différent du nôtre : c’est l’uchronie. Ce roman est en quelque sorte une uchronie personnelle. Ici, ce n’est pas l’issue alternative d’une bataille qui change l’ordre mondial, mais une décision prise en un instant par une jeune femme qui modifiera sa destinée. Cependant, ces deux histoires possédant chacune son propre arrière-plan historique, on peut se demander si c’est la décision de Patricia qui a pu entraîner un tel bouleversement de l’histoire. C’est une des nombreuses questions que se pose la vieille dame et que le lecteur se pose avec elle.

C’est un livre qui parle de la vie, des choix, des décisions qu’on prend, des femmes, de la société. En le refermant, j’ai quitté avec regrets son héroïne. Ma vie de lecteur se poursuit, un livre chassant l’autre, mais ce livre-là fait partie de ceux, peu nombreux finalement, qui laissent une empreinte durable, de ces lectures que les suivantes ne parviennent pas à supplanter. J’avais découvert Jo Walton à travers « Morwenna », un autre beau portrait féminin, celui d’une adolescente un peu marginale, intelligente et sensible, toujours plongée dans les livres de science-fiction. J’en avais acquis la conviction que l’écrivaine Galloise y parlait d’elle-même. J’étais donc heureux de la retrouver à travers cet autre portrait, et il ne fait aucun doute que je la retrouverai à nouveau avant longtemps.

Auteur : Jo Walton

Titre : Mes vrais enfants (My Real Children), 2014

Traduit de l’anglais (Pays de Galles) par Florence Dolisi, 2017

Editions Denoël, collection Lunes d’Encre

ISBN : 9782207134825

 

Bonjour !

Ce blog aura-t-il une longue vie ? Je l’espère. En tous cas, j’ai déjà réussi à en faire vivre un autre, depuis deux ans bientôt, ce qui est plutôt bon signe. Il s’agissait pour moi, à l’époque, de partager mon intérêt pour les polices d’écriture, et, notamment, de la possibilité de choisir sa propre police sur sa liseuse électronique. C’est ainsi qu’est né le blog Poliseuse, qui continue tranquillement sa vie, au gré de nouvelles découvertes typographiques accessibles à tous.

Neige de décembre

Derrière mon intérêt pour la typographie se trouve ma passion pour la lecture, pas un jour ne se passant sans que je ne parcoure quelques pages de littérature, de science-fiction (genre dans lequel je me suis spécialisé durant quelques années), mais également de tout autre genre.

Or, en créant mon blog typographique, j’ignorais presque tout de la blogosphère et des autres blogs existants. Ce fut l’occasion pour moi de découvrir la grande diversité de blogueurs lecteurs, chacun partageant ses découvertes, chacun avec son univers, ses centres d’intérêts, sa sensibilité, chacun parcourant sa propre voie. Ce fut pour moi l’occasion de me laisser guider sur certains de ces itinéraires, parfois loin des autoroutes des best-sellers. De belles découvertes…

Donc pourquoi ne pas, à mon tour, partager mes découvertes inattendues, mes sérendipités, que ce soit en matière de lecture, mais aussi de musique, ou de cinéma, ou d’expositions… Je ne m’impose aucune limite thématique, mais je ne m’astreindrai pas à chroniquer tout ce que je vois ou lis. Évidemment, il s’agit d’un lieu d’échanges, tout commentaire civilisé est le bienvenu…

A bientôt donc…